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Couvrir ou recouvrir ?

Une étrange tendance se propage dans le monde éditorial [des années 2000], un voile qui vient couvrir nos livres. Et je suis sûr que, à ma petite échelle, je suis en partie coupable.

Revenons juste avant la sortie de la 3e édition de Donjons & Dragons, chez Wizards of the Coast, lorsque le sujet des couvertures a fait surface : on nous a présenté des couvertures « effet livre ». Je suis certain que nous les auteurs, étions sceptiques… mais j'avais vu d'autres œuvres de l'artiste Henry Higginbotham et elles étaient géniales. Alors on a validé l'idée, même si, honnêtement, je ne sais pas si nous avions notre mot à dire. J’imagine que si nous avions montré un rejet total de l'idée, nous aurions peut-être fait changer d'avis les autres. Je ne sais pas. Dans tous les cas, c’est sans importance. On n'a montré aucune opposition, et les livres de D&D3 sont sortis avec les couvertures que nous connaissons aujourd'hui. Et je les appréciais.

Je ne pouvais pas me douter que nous étions en train de lancer une mode. Il en a découlé une série de produits dont la couverture essayait d’être du même style de « faux livre » chez Wizards, et chez d'autres éditeurs (principalement ceux qui sortaient des produits utilisant le système d20).

Wizards avait tout de même le mérite de créer des vraies couvertures physiques, avant de les photographier pour les utiliser comme images de couvertures ; je trouve que la plupart d’entre elles sont plutôt réussies.

3 couvertures "faux anciens livres avec ferrures" pour D&D3

Quelques livres de la gamme de D&D 3e édition.

Bon, évidemment plein d’éditeurs utilisent ce style de couvertures car elles sont peu coûteuses : c'est moins cher de payer des infographistes pour concocter quelque chose sur Photoshop plutôt que de payer des artistes pour peindre une illustration professionnelle. C'est dommage, mais on fait ce que l'on peut, et ce que l'on doit faire. D'autres éditeurs ont très certainement fait ce choix pour que leurs jeux ressemblent à ceux de Wizards ; et c'est pourquoi j'aurais en quelque sorte aimé que nous (chez Wizards) ayons démarré tout cela différemment. Ou qu'au moins, que Wizard aurait prodité de la sortie de la version 3.5 pour remédier à cela (bien que la très belle couverture du Draconomicon indique peut-être une nouvelle direction).

couverture du Draconomicon : énorme dragon rouge sur fond de montagne

Je pense toutefois qu'avec tout ça, nous avons perdu de vue ce qui est vraiment important pour une couverture.

Quand j'ai commencé dans le milieu, on m'a répété encore et encore que les couvertures étaient cruciales pour les ventes. Chez TSR, j'ai rencontré des personnes convaincues que la couverture d'un livre était plus importante que son contenu. Et ces gens, en plus d’être influents, gagnaient plus d'argent que moi. Bien sûr, mis à part ce vieux dicton, il est probable que ces personnes pensaient cela parce qu’elles ne comprenaient pas tous les trucs bizarres à l'intérieur du livre - mais elles étaient capables d'apprécier l'œuvre d'art utilisée en couverture. Elles m'ont dit que la couverture était l'outil de vente le plus important pour un livre. Que cette exagération soit exacte ou non, il est vrai qu'une couverture attractive aide à vendre un livre.

Mais j'irai même encore plus loin. Les couvertures sont plus qu'un simple outil marketing. Elles font partie intégrante de l'expérience de jeu procurée par le produit-livre.

Quand j'étais jeune, je me souviens avoir passé des heures dans ma chambre à étudier les couvertures des 1e éditions du Guide du Maitre et du Manuel du joueur [1979]

couvertures du DMG et du PH, AD&D 1e édition

Ces deux couvertures dépeignaient ce qui semblaient être une aventure en cours. Chacune racontait une histoire ; des histoires que l’on pouvait s’imaginer jouer. [À gauche :] Une bande de héros a voyagé jusqu'à la Cité d'Airain et fait maintenant face au géant éfrit [un gigantesque monstre de feu (NdT)]. [À droite :] un groupe d'aventuriers a infiltré un temple maléfique, tué les hommes-lézards et maintenant ils pillent l'endroit.

Je réfléchissais à la façon dont j'écrirais ce type d'aventures. Je songeais à ce que je ferais, en tant que personnage-joueur, dans ces situations. J’attendais avec impatience la prochaine séance de jeu. Les couvertures évoquant des aventures m'ont activement motivé à jouer à ce JdR.

Quand on travaillait sur la 3e édition de D&D, les membres de l’équipe avaient plusieurs objectifs : l'un d'eux était d’attirer de nouveaux joueurs et joueuses (et donc agrandir la clientèle). Bien sûr, encourager de nouvelles personnes à essayer leur jeu, c’est un peu le Saint Graal pour les maisons d'édition. Il y a de plein de théories sur la façon de trouver de nouveaux clients, mais ce n'est pas aussi simple qu’il n’y paraît.

Un des points que j'ai soulevé dans le débat est la notion de fidélisation. Pendant mes années de travail sur d'autres jeux que Donjons & Dragons, j'avais parlé à des milliers de rôlistes qui avaient arrêté D&D pour se tourner vers d'autres JdR. J'avais donc une bonne idée de la manière de répondre à certains besoins de ce type de gens, et ainsi de les garder [ou les faire revenir ! (NdT)] comme joueurs (et clients) de D&D.

Voyez les choses sous cet angle : si les gens jouent à un JdR en moyenne pendant trois ans, et qu'il y a 100 000 joueurs actifs achetant des tas de produits, alors les fidéliser chacun un an de plus équivaut à recruter 33 000 nouveaux joueurs.

Encore mieux : nous savons que l'un des meilleurs moyens pour recruter de nouveaux joueurs et joueuses est d'encourager les rôlistes existants à continuer de jouer. Pour trouver de nouvelles personnes, quoi de mieux que celles qui jouent et qui donnent aux autres l'envie de jouer ? Si vous aimez jouer mais que vous déménagez dans une nouvelle ville, une des premières choses que vous ferez sera de faire découvrir votre passion à vos nouvelles connaissances. Ou alors vous pourriez enseigner le jeu de rôle à votre petite sœur, ou que sais-je (1).

Ce qu’il faut retenir ici, c'est qu’il est dans l'intérêt de tout le monde que les gens continuent activement à jouer aux JdR, que vous soyez joueur ou joueuse, petit éditeur, ou même Wizards of the Coast… surtout si vous êtes Wizards of the Coast, en fait, vu que c'est cette maison d'édition qui a le plus… en jeu !

On ne parle pas que des livres de règles, ici. Depuis la 3e édition, chaque couverture de Dragon Magazine présente un seul personnage statique (ok, parfois, il y en a deux), ou quasi-immobile. L'illustration est bien faite, mais je pense que cette stratégie est dommageable.

(Les anciens parmi vous, vous souvenez-vous des vieilles couvertures de Dragon ? Des couvertures pleines d’imagination de Dennis Beauvais avec des échiquiers ? Des scènes de batailles épiques ou des panoramas étranges ?)

Couv. magazine dragon n°86 : échiquier en 3D avec duel de chevaliersCouv magazine Dragon n°89 : cerveau dans machine volante joue aux échecs circulaires

 

couverture Dragon n°118 (1984) : Roi d'échecs sur trône ; et la photo du modèle qui pose

Même les comics semblent être tombées dans cette étrange tendance : j'ai récemment commencé à lire Ultimate Spider-Man et chaque couverture, à de rares exceptions près, montre simplement Spider-Man dans une pose avec peu ou pas de décor ni d’indice sur l'histoire à l’intérieur. Montrez-moi n'importe quelle couverture en cachant son numéro et je serais incapable de vous dire duquel il s'agit.

Ultimate Spiderman n°2 : Spidey pose sur le capot d'une voitureultimate Spiderman n°3 - Spidey collé sur une paroi vitrée de gratte-cielUltimate Spider Man n°5 : Spidey sur une paroi vitrée de gratte-ciel

Dites que je suis un râleur si vous voulez, mais j'en ai tellement marre de cette mode des couvertures ennuyeuses que je me devais de donner mon avis. Je dois reconnaitre que même nos couvertures chez Malhavoc Press [maison d'édition fondée par Monte Cook après qu'il a quitté Wizards of the Coast en 2001, aujourd'hui renommée Monte Cook Games (NdT)] flirtent avec cette tendance. Même si on ne fait pas (et on ne fera jamais) de couvertures « effet livre », on en a déjà eu quelques-unes qui montraient simplement un personnage sans trop d'action. Je pense que c'est acceptable occasionnellement, si ce personnage intrigue le public. Peut-être qu'une meilleure façon d'exprimer mon point de vue est de dire que, plutôt que d'évoquer de l'« action », une couverture devrait toujours « inspirer de l'aventure ». En d'autres mots, ça devrait me donner envie de jouer à ce jeu.

À l'échelle du milieu éditorial rôliste, j'aimerais voir revenir les magnifiques illustrations de scènes inspirant des aventures, réalisées par les artistes de premier plan du milieu comme Todd Lockwood, rk post, Brom, Sam Wood, etc.

Et, pour ne pas finir sur une note négative, j’ai pensé que ça serait bien de vous partager ici quelques-unes de mes couvertures favorites de livres de jeux de rôles. Certaines, je l'admets, sont aussi le fruit de ma nostalgie, mais la plupart sont de véritables œuvres d'art. Toutes renvoient à cette idée d'aventure dont je parlais :

Article original : Covering ourselves

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Pour aller plus loin…

Parmi les couvertures les plus inspirantes, on peut citer celles d’Angus Mc Bride (1931-2007). McBride faisait beaucoup d’illustrations de costumes de guerriers historiques, donc il était à l’aise avec la Fantasy. Ses couvertures pour Le Jeu de Rôle des Terres du Milieu sont connues ; celles pour Rolemaster racontent une histoire.

Un groupe de personnages (magicien elfe avec une crète, voleur type 1001 nuits, rangère-archère et un guerrier blond) observent une cité troglodyte en contrebas.

Arrivés devant la cité troglodyte, les PJ combattent un monstre mécanique à la décoration aztèque

La Rangère tente de traverser le sommet d'une chute sur un chemin de dalles, mais un homme-lion (?) l'attaque.

Le guerrier et le voleur se cachent devant la chambre aux œufs gardée par les hommes-oiseaux

Scène dans une cité : "Manuel des Sorts", donc le magicien lance un éclair sur un monstre, sauvant le guerrier à terre.

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